Pourquoi faut-il lire... Corniche Kennedy

Maylis de Kerangal m'avait déjà frappé par sa prose dans Réparer les vivants, mais je l'ai vraiment perçue avec Corniche Kennedy, pour une raison bien simple : si dans le premier, le scénario m'avait beaucoup touché, ce n'était pas autant le cas dans le second. Ce qui m'a alors impressionné, c'est son style. Des phrases déstructurées, des discours indirects, des énumérations, une écriture qui coule et qui fuse comme les pensées des personnages et leurs actions, l'importance du ressenti...

« Depuis quelques secondes la fille resplendit sous le soleil horizontal, ciblée en pleine tête comme le naos au fond du temple, et sa peau s'est dorée d'un coup, peau d'héritière, lisse et douce, irisée d'ambre solaire, pieds bronzés, ongles nacrés, un paréo tahitien, trois glaçons dans un verre à orangeade, tchin-tchin, va faire ton piano chérie, Eddy trouve qu'il n'y a rien de plus passionnant à cette minute que cette peau de fille, là, toute concrète, membrane qui palpite, absorbe et transmet, tissu qui capte et décongestionne, rien de plus troublant que cette peau. »

Finalement, le style m'a fait penser aux peintres impressionnistes : ce qui ressortait, c'était des impressions, des sensations, celles des personnages, qui deviennent alors de plus en plus accessibles pour le lecteur, sans besoin de passer par des dialogues directs ou un point de vue interne. Si certains lecteurs peuvent trouver ce style dérangeant, perturbant, et se perdre dans les phrases, je trouve que sa plume permet de retranscrire la complexité du réel : en une phrase, on rencontre les personnages, leurs pensées, leurs vêtements, le décor, la sensation du soleil sur leur peau, l'appréhension qui les dévore, le rythme de leur cœur...

Corniche Kennedy, Maylis de Kerangal (Verticales)

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