Pourquoi faut-il lire... Petit Traité de toutes vérités sur l'existence
- Edgar Dubourg
- 3 janv. 2017
- 3 min de lecture

« Il y aura un temps avant le recueil et un temps après le recueil. »
Ce n'est pas moi qui le dis. C'est l'auteur. Fred Vargas s’amuse à la rédaction d’un traité sur l’existence, c’est drôle, c’est juste, c’est pertinent, et c’est à prendre au premier, second ou énième degrés selon les paragraphes – le génie résidant précisément dans les perles de vérité qui se cachent entre les lignes quel que soit le degré de subtilité et de sarcasme du raisonnement. Tantôt s’adressant à des enfants, son enfant, ses neveux, tantôt à nous les lecteurs, se laissant aller à quelques habiles digressions, sur sa vie de famille, sur sa vie sentimentale, Fred Vargas ne s’éloigne jamais de la rigueur de la structure du traité, dont elle se moque en soulignant à chaque page son importance. Elle entend aborder les vérités de l’existence, s’en prenant avec dérision à toute l’humanité, et à ses collègues écrivains en particulier, de ne jamais avoir pris le temps de les écrire noir sur blanc dans un traité court de la sorte. Ces vérités, chez Fred Vargas vont de « La vie a un sens dès l’instant où vous la vivez » à « Si l’on vous tape 200 fois sur le doigt, vous n’avez pas 200 fois plus mal, vous n’avez plus de doigt. »
« Et j’aime mieux dire que ce sera un traité définitif. […] Chaque jour nouveau délivre son lot de questions insolubles et si l’on additionne en mois, en années, concevez la somme d’incertitudes qui nous écrase, imprimant à nos existences cette démarche chancelante fait de millions de bourdes inlassablement répétées. Alors qu’il est si simple, avec i, petit traité tout bonnement efficace, de diriger valeureusement nos pas. Alors qu’il est si facile, en quelque cent feuillets, d’apporter un soulagement à nos errances. »
À coup de « je vous en parlerai », « j’y reviendrai », « faites-moi souvenir de vous en parler » ou « on en reparlera un peu plus loin, mais sans précipitation », Fred Vargas s’amuse à distiller les fameuses vérités le long du petit traité, en repoussant toujours les questions existentielles cruciales, sur la philosophie, sur la vie… remettant précisément en cause ce caractère crucial ! Nous apostrophant, parlant d’elle à la troisième personne ou sermonnant son fils, Vargas donne à son traité une énergie et une vitalité.
L’auteur a une théorie sur tout, sur les capuches qui se rangent dans les cols des manteaux, sur les hommes qui pissent toujours contre quelque chose, sur le sable qui s’écoule de la main, sur les homards et sur les vers de terre, toutes les théories qui se veulent d’abord humoristiques, finissent toujours par faire sens et par nous faire réfléchir. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai arrêté la lecture, levé la tête et cogité un peu sur ce que je venais de lire. Un exemple ?
Le concept du homard, qu’elle a inventé, nous-dit-elle, à dix-sept ans, explique que le homard, parce qu’il détient une carapace solide, n’a pas évolué du tout – « Car le homard, de par sa nature et de par son armure à toute épreuve, n’a pas évolué d’un iota depuis le Carbonifère, au bas mot depuis 250 millions d’années, et je suis coulante. Et quand je dis 250, je ne vous brade pas un chiffre en l’air. J’insiste pour que vous figuriez bien la chose : tel vous connaissez le homard, tel il était, tel il sera toujours. » On remarque sa manière de souligner les arguments avec une certaine ironie, une distance, et de toujours certifier les chiffres. Elle en vient à le comparer à l’homme et à son histoire, en partant de l’hominidé , « apparu dans un étant d’imperfection pitoyable il y a seulement 4 millions d’années. » Finalement, après de nombreux détours ingénieux :
« Suprotection égale homard égale immobilisme égale stagnation ; prise de risque égale hominidés égale mouvement égale évolution. »
Le concept du homard, adaptable à beaucoup de situation, devient incroyablement pertinent. On n’oublie pas le concept de l’économie d’énergie, le concept de la chaudière pour expliquer l’amour (« À la différence de la chaudière qui dispose d’un dispositif de sécurité dit clapet, l’homme n’en dispose d’aucun, s’agissant de notre noyau central, l’amour. »), de la mallette à pression ou du surdosage. Et, dans les dernières pages, on peut lire :
« L’amusement est l’un des plus fermes moyens de combattre les doutes bouillonnants du flot de votre vie. »
Mission accomplie ?
« Je n’aperçois plus nul mystère, sentimental, philosophique, guerrier, religieux, artistique ou métaphysique qui saurait dorénavant vous tracasser. »
Mission accomplie.
Petit Traité sur toutes vérités de l'existence, Fred Vargas (Vivane Hamy)
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