Un bel extrait de... L'Œuvre
- Chloé d'Arcy
- 24 nov. 2016
- 2 min de lecture

Dans ce volume des Rougon Macquart, Zola plonge le lecteur dans l’univers des artistes parisiens, tiraillés entre une vie de bohème faite de grandes créations révolutionnaires et une vie plus bourgeoise faites d’œuvres proprettes saluées par la critique du Salon. Entre génie et folie, il n’y a que quelques coups de pinceau.
« Toute toile qui revenait lui semblait mauvaise, incomplète surtout, ne réalisant pas l’effort tenté. C’était cette impuissance qui l’exaspérait, plus encore que le refus du jury. Sans doute, il ne pardonnait pas à ce dernier : ses œuvres, même embryonnaires, valaient cent fois les médiocrités reçues ; mais quelle souffrance de ne jamais se donner entier, dans le chef-d’œuvre dont il ne pouvait accoucher son génie ! Il y avait toujours des morceaux superbes, il était content de celui-ci, de celui-là, de cet autre. Alors, pourquoi de brusques trous ? pourquoi des parties indignes, inaperçues pendant le travail, tuant le tableau ensuite d’une tare ineffaçable ? Et il se sentait incapable de correction, un mur se dressait à un moment, un obstacle infranchissable, au-delà duquel il lui était défendu d’aller. S’il reprenait vingt fois le morceau, vingt fois il aggravait le mal, tout se brouillait et glissait au gâchis. Il s’énervait, ne voyait plus, n’exécutait plus, en arrivait à une véritable paralysie de volonté. Etaient-ce donc ses yeux, étaient-ce ses mains qui cessaient de lui appartenir, dans le progrès des lésions anciennes, qui l’avaient inquiété déjà ? Les crises se multipliaient, il recommençait à vivre des semaines abominables, se dévorant, éternellement secoué de l’incertitude à l’espérance ; et l’unique soutien, pendant ces heures mauvaises, passées à s’acharner sur l’œuvre rebelle, c’était le rêve consolateur de l’œuvre future, celle où il se satisferait enfin, où ses mains se délieraient pour la création. »
L’Œuvre, Émile Zola (Gallimard)
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