Un bel extrait de... La chouette aveugle
- Caroline Sauvage
- 29 oct. 2016
- 2 min de lecture

Toutes les splendeurs de l’Asie sacrée, l’envoûtante et mystérieuse Inde imaginée ou réelle, onirique et magique. L’Inde, la Perse, un conte des Mille et une nuits… On croirait entendre Sadegh Hedayat, le grand poète persan, décrire la beauté fatale de la bayadère.
« Je me représente assez bien la bayadère, ma mère, en sari de soie de couleur, brodé d’or, le visage et la poitrine découverts, un foulard de brocart jeté sur sa chevelure lourde, aussi noire que la nuit éternelle ; elle nouait un chignon sur sa nuque ; des bracelets ornaient ses poignets et ses chevilles, une fleur d’or à la narine, les yeux sombres, bridés, voluptueux, les dents luisantes, elle dansait avec les gestes lents et rythmiques au son du sétâr, du tambourin, du luth, des cymbales et de la trompette. Musique douce et monotone qu’exécutaient des hommes nus, coiffés de turbans. Musique pleine d’une signification profonde et dans laquelle se retrouvaient tous les secrets de magie, les superstitions, les vices et les souffrances du peuple de l’Inde. À travers ses mouvements harmonieux et ses invites sensuelles, gestes hiératiques, la bayadère s’épanouissait comme un pétale de rose. Elle laissait courir un frisson le long de ses épaules et de ses bras, s’inclinait, se redressait. Toutes ses attitudes, qui comportaient autant de sens particuliers, et qui paraissent un langage muet, quelle impression peuvent-elles avoir faite sur mon père ? Et surtout, ajoutant encore au caractère voluptueux du spectacle, l’odeur âcre et poivrée de la sueur de cette femme, mêlée au parfum du jasmin et de l’huile de santal. Parfums qui rappelaient celui de la résine des arbres lointains et éveillaient des sensations mystérieuses. Senteur de coffret de pharmacie, odeur de ces remèdes venus de l’Inde, que l’on conserve dans les chambres d’enfants, onguents inconnus, provenant de contrées ou survivent d’antiques coutumes. »
La chouette aveugle, Sadegh Hedayat (traduit du persan par Roger Lescot, éditions José Corti)
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