Cinq questions à... Emmanuelle Pirotte

De Profundis est un roman profondément ancré dans l'actualité. Les évènements tragiques de ces dernières années (épidémie, attaques terroristes) ont-ils constitué un point de départ pour l'écriture de cette histoire ?

Oui, la marche du monde m’angoisse profondément, et ces peurs sont exprimées dans ce deuxième roman. Mais une première version de ce texte a été écrite il y a 12 ans, dans laquelle il n’était pas question de futur apocalyptique. C’était un récit contemporain. Quand je l’ai repris des années plus tard, il était devenu essentiel pour moi de placer l’histoire dans un futur proche et chaotique. Ma perception de l’avenir avait évolué.

Pour échapper à la ville et son atmosphère apocalyptique, vos héroïnes se réfugient à la campagne. Pensez-vous que l'humanité devra opérer un tel retour aux sources pour faire face aux crises de son temps ? Votre roman peut-il être caractérisé de « roman d'anticipation » ?

Je crois en effet que le salut de l’humanité face à une déferlante de fléaux (climatiques, idéologiques, sanitaires…) devra sans doute passer par un retour à un mode de vie que l’on pourrait qualifier « d’ancien régime ». Le milieu rural sera peut-être l’ultime refuge, où on reviendra aux choses essentielles qui aideront à la survie. Mon roman est sans conteste un roman d’anticipation, puisqu’il projette le lecteur dans une époque future, mais un futur assez proche, qui reste réaliste.

À l'histoire très concrète que vous racontez se mêle une pointe de fantastique. Pourquoi avoir voulu donner cette touche à votre roman ? D'où vous est venue l'inspiration de ce personnage d'un autre temps ?

Le personnage fantastique était déjà présent dans la première version ; à vrai dire il est la clef de voûte du roman, il permet aux deux femmes, à la mère et à la fille d’entrer véritablement en contact, de se découvrir et finalement, de s’aimer. Ce personnage, qui traverse le temps, est né sans doute d’un profond fantasme chez moi, lié à mes lectures de jeunesse, Poe, Maupassant, Jean Ray, T Gautier, Barbey d’Aurevilly, les sœurs Brontë, les écrivains qui explorent le fantastique, ou le romantisme échevelé. Cet être est l’expression de mes propres rapports aux thèmes de la survie de l’âme, des relations entre le visible et l’invisible, entre les vivants et les morts. C’est aussi à travers lui que se dessine une perception de l’humanité qui est prisonnière de sa médiocre condition, mais qui peut chercher et trouver, l’espace d’un instant, la lumière. Et puis, l’époque où a vécu ce personnage est un puissant écho au présent effrayant du roman.

Le personnage de la fillette est central dans vos deux romans, pourquoi cela ? Quelqu'un vous a-t-il inspiré ce personnage ?

Les personnages d’enfants me fascinent. Les enfants sont une merveilleuse et inépuisable source d’inspiration pour un écrivain. Il est vrai que les deux fillettes (Renée dans Today we live et Stella ici) ont des points communs, l’intense force de caractère, la maturité, l’autonomie, l’imagination, et surtout la capacité d’adaptation. Explorer l’extraordinaire puissance de vie d’un enfant quand il est plongé dans des situations traumatiques est quelque chose qui me transporte, qui m’exalte au plus haut point. Je ne sais d’où cela me vient. J’ai deux filles, elles ont sans doute contribué à nourrir un peu mes personnages. Comment et dans quelles proportions, cela reste un mystère, tout comme reste mystérieuse la raison du besoin que j’ai de créer des personnages de fillettes confrontées à la dureté du monde.

Enfin, une question que nous posons à chaque auteur : qu'y a-t-il de vous dans ce roman ?

Je suis tout entière dans ce roman. Ce n’est pas parce qu’on écrit de la fiction pure que l’on ne se dit pas dans son œuvre. Ce livre exprime, concentre mes craintes et mes fantasmes les plus profonds, conscients et inconscients. Il y a sans aucun doute des choses dans De Profundis qui témoignent de ce que je ne connais pas bien de moi-même, de ce que je maîtrise pas, de ce que je n’exprime pas en dehors de mes livres.

Merci beaucoup à l'auteur d'avoir accepté de répondre à nos questions.

De Profundis (Cherche Midi)

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