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Pourquoi faut-il lire... The Girls

  • Victoria Roure
  • 30 sept. 2016
  • 3 min de lecture

Si vous avez entendu parlé de The Girls, vous savez probablement que ce roman est construit sur la base d’une histoire vraie tragique et intrigante, celle de Charles Manson, le gourou californien qui a poussé ses adeptes à massacrer au moins une dizaine de personnes. Vous en saviez en fait plus que moi et c’est peut-être une bonne chose : ce livre est suffisamment fascinant en lui-même qu’il n’a pas besoin d’une réalité historique pour exister.


Ce livre est le premier écrit par Emma Cline et je vous mets pourtant au défi de trouver un roman empreint d’une telle maturité. Les parties s’alternent entre les moments où la narratrice Evie Boyd a 14 ans et ceux où elle en a une soixantaine. La profondeur de la narration est telle qu’on se demande comment l’auteure maitrise à la fois une réflexivité précoce sur une histoire qu’elle n’a pas vécue et la justesse si étonnante de sa traduction par écrit.


Le roman raconte comment Evie Boyd, alors qu’elle mène une vie tranquille à l’avenir tracé, abandonne sa mère, sa seule amie Connie et cette confortable existence au profit de sa passion amoureuse et destructrice pour Suzanne, qui habite dans un ranch miteux en périphérie d’une petite ville californienne. La première fois qu’elle la voit, tout semble déjà joué :


« De fait de son apparition soudaine, la journée semblait empreinte de synchronisme, l’angle des rayons du soleil lesté d’un poids nouveau. Elle n’était pas belle, constatai-je, en la revoyant. C’était autre chose. […] C’était mieux que la beauté. ».


Le rythme des phrases, la précision des détails dont Evie se rappelle, m’ont donné le souffle court tant je pouvais ressentir la passion fascinée d’Evie pour Suzanne.


Ce qui frappe est la manière naturelle dont la récit ne se centre pas du tout sur le gourou du ranch, ici appelé Russell, alors même qu’il est clair qu’il guide les actions de toute la communauté d’adeptes. Evie ne suit jamais Russell mais Suzanne au ranch, elle perçoit ainsi le pouvoir ambigu qu’il exerce. Elle est attirée par cette force qui semble réconfortante, elle voudrait y croire mais n’y parviendra jamais, comme protégée par le biais que représente son attention pour Suzanne. Elle analyse finement les mécanismes d’aliénation mentale dans lesquelles les autres tombent, et qu’elle fait inconsciemment semblant d’accepter :


« N’importe quoi pouvait être yoga : faire la vaisselle, brosser les lamas. Préparer un repas pour Russell. Vous étiez censée vous pâmer, vous plonger dans dans ce que les rythmes allaient vous enseigner. Démolir le moi, vous offrir comme la poussière à l’univers. »


Emma Cline arrive à reconstruire le schéma mental terrible du dilemme éthique, où il est impossible de trancher entre des valeurs morales longuement inculquées et la passion ressentie sur le moment :


« Je voulais que Russell soit gentil, alors il l’était. Je voulais être près de Suzanne, alors je croyais à tout ce qui me permettait de rester ici. »


Elle veut à la fois impressionner Suzanne et rester dans le cocon social du ranch, qui tient grâce à la valeur urgente et sacrée que prend l’appartenance à un groupe d’âmes esseulées et si fortes ensemble.


Evie Boyd adolescente comprend également les codes sociaux les plus fins et s’en détache progressivement quand elle remarque leur absurdité, puis leur injustice. Les plus cinglants des constats qu’elle exprime concernent les normes de la féminité :


« Cela faisait partie du rôle d’une fille, vous deviez accepter les réactions que vous provoquiez. Si vous vous mettiez en colère, vous étiez une folle, et si vous ne réagissiez pas, vous étiez une salope. La seule chose que vous pouviez faire, c’était sourire dans le coin où il vous avait acculée. Et vous impliquer dans la plaisanterie, même si c’était toujours vous la cible. »


« Pauvres filles. Le monde les engraisse avec des promesses d’amour. Elles en ont terriblement besoin et la plupart d’entre elles en auront si peu. Les chansons pop à l’eau de rose, les robes décrites dans les catalogues avec des mots comme « coucher de soleil » et « Paris ». Puis on leur arrache leurs rêves de manière si violente […]. ».


La force de ces constats réside dans leur froideur, le détachement avec lesquels ils sont exprimés. Evie voit le monde mais elle n’en fait plus partie depuis l’été au ranch, elle flotte au dessus avec son regard tranchant et lucide.


Toutes ces manifestations réflexives ainsi que l’amour d’Evie pour Suzanne font de The Girls un récit qui porte très bien son nom : il explore la puissance et la profondeur de ces personnages féminins si souvent secondaires dans l’histoire.

Comme l’auteure le dit dans la troisième partie, « Même à la fin, les filles avaient été plus fortes que Russell. ».


The Girls, Emma Cline (La Table Ronde)

 
 
 

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