Pourquoi faut-il lire... L'amie prodigieuse
- Pascale Charpenet
- 20 juin 2016
- 3 min de lecture

Naples, 1958. Elena est une élève studieuse quand elle rencontre Lina.
« Déjà à cette époque quelque chose m’empêchait de l’abandonner. Je ne la connaissais pas bien et nous ne nous étions jamais adressé la parole, même si nous étions constamment en compétition, en classe comme en dehors. Mais je sentais confusément que si je m’étais enfuie avec les autres, je lui aurais laissé une partie de moi qu’elle ne m’aurait plus rendue. »
De cette rencontre va naitre une amitié qui durera plus de soixante ans. Elena Ferrante nous raconte à travers une série de romans l’histoire de cette amitié qui traverse la deuxième partie du XXe siècle, des bancs de l’école à l’aube de la vieillesse. L’amie prodigieuse est le premier tome d’une saga qui promet d’être passionnante. C’est du moins ce que cette première partie laisse présager. On y suit les aventures de ces deux fillettes, on les voit grandir, s’aimer, se haïr et on vibre avec elles lors du feu d’artifice de la nouvelle année. Un feu d’artifice qui voit s’affronter deux familles ennemies de ce quartier populaire, un conflit qui cristallise toutes les tensions et fixe les règles du jeu. Elena et Lina sont studieuses, vives et complices dans les bêtises qu’elles inventent chaque jour, mais leur chemin va vite se séparer. Lina, dont l’intelligence étonne ses professeurs, abandonne ses cahiers pour travailler dans l’échoppe de cordonnier de son père. En cachette, elle emprunte des livres, étudie seule et rêve d’émancipation intellectuelle. Mais la pauvreté, l’orgueil et la pression familiale la pousse à choisir une autre voie. De son côté, Elena persévère et intègre le collège, puis le lycée où elle ne retrouve presque aucun camarade de son quartier. Finalement, les deux amies se construisent en parallèle et l’on finit par se demander, tout comme Elena, si c’est le lycée ou la rue qui émancipe le plus.
« Je songeais aux discussions que j’avais eu avec Lila et Pasquale pendant tout le mois de septembre et sentis tout à coup que cela avait été une véritable école, plus que celle où j’allais tous les jours. »
C’est une amitié très forte qui lie les deux jeunes filles, qui sont pourtant très différentes, physiquement, mais aussi psychologiquement. Lina est secrète, rebelle et parfois dangereuse alors qu’Elena est plus réservée et voue une admiration sans pareille à son amie. A travers ce portrait de filles qui deviennent femmes, c’est aussi le portrait d’une ville en ébullition que nous livre ici Elena Ferrante. Dans l’Italie du boom économique, Naples est poussiéreuse, violente et chacun de ses quartiers incarne une catégorie sociale bien définie. Elena se souvient de la première fois qu’elle sortit de son quartier :
« Ce fut comme franchir une frontière. Je me souviens d'une foule dense de promeneurs et d'une différence qui était humiliante. Je ne regardais pas les garçons, mais les filles et les femmes : elles étaient totalement différentes de nous. Elles avaient l'air d'avoir respiré un autre air, d'avoir mangé des aliments différents, de s'être habillées sur une autre planète et d'avoir appris à marcher sur des souffles de vent. "
Un contraste dont elle se rend de plus en plus compte au fil de son adolescence, alors qu’elle se détache de ceux qui l’ont vu grandir, elle prend avec tristesse du recul sur sa famille, ses amis :
« Ce que c'était, la plèbe, je le sus à ce moment-là, beaucoup plus clairement que quand Mme Oliviero me l'avait demandé des années auparavant. La plèbe, c'était nous. La plèbe, c'étaient ces disputes pour la nourriture et le vin, cet énervement contre ceux qui étaient mieux servis et en premier, ce sol crasseux sur lequel les serveurs passaient et repassaient et ces toasts de plus en plus vulgaires. La plèbe, c'était ma mère, elle avait bu et maintenant se laissait aller contre l'épaule de mon père qui restait sérieux, et elle riait, bouche grande ouverte aux allusions sexuelles du commerçant en ferraille. »
C’est un roman qui se dévore et nous fait voyager dans cette Italie, à la fois proche et si éloignée de nous
L'amie prodigieuse, Elena Ferrante (Gallimard)
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