Pourquoi faut-il lire... Oscar et la dame rose
- Manon Berriche
- 1 juin 2016
- 3 min de lecture

Oscar,
Je t’écris cette lettre sans connaître ton adresse, ni ton âge, ni ton visage.
Je t’écris cette lettre comme toi, tu t’adressais à Dieu, il y a quelques années.
Tu avais alors dix ans. Tu étais malade. Très malade. Il ne te restait que quelques jours à vivre ; tu le savais.
Tu avais entendu le docteur Düsseldorf le dire à tes parents.
Tu avais entendu le sanglot de ta mère et la voix étranglée de ton père.
Tu avais entendu le silence des infirmières, et même des tes amis. Le silence teinté de gêne et de peine.
Mais toi, Oscar, personne ne t’entendait. Personne sauf Mamie Rose. La veille dame qui te rendait visite à l’hôpital, tous les jours.
Personne sauf Mamie Rose — et peut-être moi ? J’avais alors 13 ans, lorsque j’ai découvert les lettres que tu as laissées à Dieu pour lui confier ton chagrin, ta douleur ; pour lui demander du courage, de la patience, des éclaircissements.
Contrairement à toi, j’étais en bonne santé. Mais je me sentais proche de toi.
Même si tu n’existais pas, même si tu n’étais qu’un personnage de fiction, j’étais triste de te voir souffrir. Peut-être que je me laissais aller tout simplement ; que j’extériorisais mon émotion, précisément parce que je savais que tu ne me verrais pas.
Tu m’as faite pleurer, tu sais. C’était la première fois que je pleurais en lisant une histoire. J’étais bouleversée par l’extrême tristesse de tes parents et la difficulté qu’ils éprouvaient à t’exprimer leur amour :
« Ma mère s’est précipitée contre moi, m'a serré très fort, trop fort et m’a dit d’une voix secouée :
— Je t’aime, mon petit Oscar, je t’aime tellement.
J’avais envie de résister mais au dernier moment je l’ai laissée faire, ça me rappelait le temps d’avant, le temps des gros câlins tout simples, le temps où elle n’avait pas un ton angoissé pour me dire qu’elle m’aimait. »
J’ai été profondément touchée par ce passage et ta manière si délicate de rendre compte de cet amour fragile, mais en cela précieux.
Tu m’as donc faite verser quelques larmes. Mais il s’agissait moins de larmes de tristesse que de tendresse. Car, oui, tu m’as aussi attendrie avec ta naïveté et tes questions à côté de la plaque, face au franc-parler si pertinent de Mamie Rose :
« Il n’a qu’un truc qu’on n’a pas fait, c’est le baiser en mélangeant les langues. Peggy Blue avait peur ça lui donne des enfants. Qu’est ce que vous en pensez ? »
Et puis tu m’as assagie. Malgré ton jeune âge. Malgré ton crâne rasé et ta bouille d’enfant fatigué.
Si tu m’avais demandé, comme aux autres, si tu allais mourir, je n’aurai pas évité ta question, je t’aurais répondu tout simplement que je craignais terriblement la mort. Mais grâce à toi, je la crains un peu moins. Avec Mamie Rose, tu m’as appris quelque chose d’important :
« À partir d'aujourd'hui, tu observeras chaque jour en te disant que ce jour compte pour dix ans.
- Dix ans ?
- Oui. Un jour : dix ans
- Alors dans douze jours, j'aurais cent trente ans ! »
Tu m’as appris qu’il fallait profiter de chaque instant et « regarder chaque jour le monde comme si c’était la première fois ». Entre ton premier baiser avec la petite Peggy Blue, ta réconciliation avec tes parents, ta quiétude nouvellement acquise sous le coup des « quatre-vingts ans », tu m’as montrée que la vie pouvait être belle.
Aujourd’hui, j’ai 21 ans, je suis toujours en bonne santé. J’ai relu tes lettres et crois-moi, cher Oscar, elles m’émerveillent toujours autant ; elles m’aident à conserver un regard d’enfant sur le monde pour savourer la beauté du quotidien et la magie des petites joies.
Oscar et la dame rose, Eric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel)
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