Pourquoi faut-il lire... Rien ne s'oppose à la nuit
- Pascale Charpenet
- 28 mai 2016
- 2 min de lecture

Écrire sa mère. Nombre d’écrivains se sont essayés à l’exercice. Delphine de Vigan ne déroge pas à la règle et c’est ici brillamment exécuté. Écrire celle qui nous a donné la vie pour se connaître, apprivoiser le passé, soigner le présent. Car ce n’est pas seulement l’histoire de Lucile (l’auteur appellera sa mère uniquement pas son prénom) qui nous est ici conté, mais en décalcomanie celle de sa fille, Delphine. C’est le regard d’une fille sur sa mère, un regard qui ne se veut pas objectif et ne peut d’ailleurs pas l’être.
« Je ne sais plus quand est venue l’idée d’écrire sur ma mère, autour d’elle, ou à partir d’elle, je sais combien j’ai refusé cette idée, je l’ai tenue à distance, le plus longtemps possible, dressant la liste des innombrables auteurs qui avaient écrit sur la leur, des plus anciens au plus récents, histoire de me prouver combien le terrain était miné et le sujet galvaudé, j’ai chassé les phrases qui me venaient au petit matin ou au détour d’un souvenir, autant de débuts de romans sous toutes les formes possibles dont je ne voulais pas entendre le premier mot, j’ai établi la liste des obstacles qui ne manqueraient pas de se présenter à moi et des risques non mesurables que j’encourais à entreprendre un tel chantier. »
De Vigan retrace le procédé même de l’écriture, sa genèse, la recherche douloureuse des souvenirs, les enquêtes minutieuses auprès des personnes de sa famille. Elle raconte la difficulté de certains de ses proches à parler de la figure de Lucile, d’autres qui se sont opposés à son projet. La famille, ses secrets, ses joies et ses doutes, tout nous est ici dévoilé à travers ce personnage. Lucile, du latin « lumière », a lutté toute sa vie pour conserver cette flamme qui la caractérisait et a fini par s’éteindre doucement. Rien ne s’oppose à la nuit, rien ne s’oppose au vide et à la douleur dont semble être rongé Lucile.
« Elle rêvait de devenir invisible : tout voir, tout entendre, tout apprendre, sans que rien de palpable ne signalât sa présence. Elle ne serait plus qu'une onde, un souffle, un parfum peut-être, rien qu'on pût toucher ou attraper. »
De Vigan dresse ici le portrait dur d’une femme qui n’a pas toujours su être mère, mais c’est aussi un portrait plein de tendresse. C’est une déclaration d’amour que l’auteur n’a pas eu le temps, ni l’envie peut-être, de faire tant qu’elle vivait encore. Elle nous offre le récit passionnant de sa famille troublée, autour d’une ribambelle de personnages que l’on a envie de connaître, et peu à peu, on rentre nous aussi dans cette famille, on éprouve le malaise, le manque, l’affection de ses membres. Une histoire de famille qui nous fait prendre du recul sur la nôtre, pour mieux avancer
Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan (JC Lattès)
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