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Cinq questions à... Annie Ernaux

  • Manon Berriche
  • 16 mai 2016
  • 3 min de lecture

« Je ne construis pas un personnage de fiction, je déconstruis la fille que j'ai été ». Tel est le projet littéraire que vous affirmez dans Mémoire de fille. Votre écriture semble ainsi moins relever de l’imagination — ni même de la mémorisation — que de l’exploration, de la palpation presque corporelle de « la fille de 58 ». Quels moyens stylistiques et narratifs vous ont ainsi permis de retrouver cette fille, et de plonger, encore plus profondément que dans vos autres œuvres, dans les gouffres de votre vie intime ? Dans quelle mesure différencieriez-vous dès lors ce livre de la totalité de votre œuvre littéraire ? Y voyez-vous au contraire une continuité, si ce n’est un aboutissement ?


Les moyens stylistiques et narratifs [mais je ne « parle » jamais ainsi …] ne sont pas premiers. Ils se plient [les mots soulignés l'ont été par l'auteur, ndlr] à ce que je cherche à faire, de façon plus intuitive que réfléchie, au désir qui est le mien et que je ne connais pas clairement en commençant. Dans ce texte, obscurément, puis lumineusement, j’ai voulu « rejoindre » la fille de 58, être cette fille, tout en la ressuscitant, en l’objectivant aussi. Et mon désir s’est accompli, a trouvé sa forme dans la dissociation elle et je.


Il me semble que ce livre m’a poussée le plus loin possible dans la lutte entre l’écriture et la vie. Il n’y a pas une phrase qui ne soit le résultat de ce combat. Je pense qu’il reste à part dans mon travail, même s’il a une continuité évidente — quête du réel, dans la honte — Tension simple — L’événement — avec mes autres livres.


« Ce n’est pas la réalité de mon histoire avec H que je veux raconter, c’est une manière de ne pas être au monde ». Pouvez-vous développez cette phrase et nous en dire plus sur cette façon d’exister, sur ce ressenti, qui oscille entre indifférence et passivité ?


Alors, c’est le projet de 1960, que je réaliserai dans L’arbre, en 1962-1963. H n’a qu’une présence floue comme amant, le « je » décline de différentes manières une absence au monde, une indifférence aux autres, à ce qui lui arrive, mais qui n’est pas la « glaciation » des deux années précédentes.


Les boulimiques sont souvent perçues comme des jeunes filles qui n’arrivent pas à contrôler leurs pulsions. Comme des jeunes filles qui craquent, qui sont faibles. Pourtant, après ces crises, survient souvent une phase de contrôle drastique. Il faut donc une rigueur – tout comme une vigueur – importante pour se plier à ce régime draconien. Décririez-vous ainsi « la fille de 58 » comme vulnérable ou plutôt comme dotée d’une force incroyable de caractère ?


Je crois que les boulimiques ont des désirs immenses, plus grands qu’elles, c’est-à-dire impossibles à satisfaire, à un moment donné, dans un monde, un entourage donné. C’est ça leur vulnérabilité ; mais elles sont fortes, comme « la fille de 58 », pour s’imposer jusqu’au jeûne, pratiquement.


La problématique de la mémoire est très forte dans votre ouvrage. Pourtant, d’une manière tout à fait personnelle, j’ai eu le sentiment que celle de l’oubli l’était tout autant, si ce n’est plus. À la dernière page de votre livre, vous écrivez, d’ailleurs : « Déjà le souvenir de ce que j’ai écrit s’efface. Je ne sais pas ce qu’est ce texte. Même ce que je poursuivais en écrivant ce livre s’est dissout. ». Avez-vous l’impression qu’écrire Mémoire de fille, vous a permis, sinon d’oublier, du moins de vous détacher d’un sentiment trop longtemps refoulé : l’état d’absence au monde dans lequel se trouvait la « fille de 58 » ?


La dialectique de la mémoire et de l’oubli mériterait un long développement… L’écriture de Mémoire de fille, en mettant au jour cette période de deux ans, de la colonie à l’entrée en face de lettres, de l’exaltation à l’absence au monde, en lui donnant une réalité que la mémoire seule pouvait lui sommer, m’a surtout apporté une sensation de « devoir accompli », de tâche menée à bien. Il se peut que la conséquence en soit l’oubli, progressivement.


Les phrases « Déjà le souvenir […] dissout » ne concernent que le texte, l’écriture du texte.


Nous terminons toujours nos interviews par la même questions: qu’y a-t-il de vous dans votre livre ?


Tout !



Nous remercions infiniment Annie Ernaux pour ses belles réponses !


Mémoire de fille (Gallimard)




 
 
 

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