Un bel extrait de... Lolita
- Hélène Scavone
- 3 mai 2016
- 2 min de lecture

Roman d'une intensité extrême, d'une perturbante humanité, Lolita est devenu un classique de la littérature. Cet extrait, d'un souffle surprenant, est à l'image du roman : sublime.
« Ma chère Dolores ! Je veux te protéger, ma chérie, de toutes les horreurs dont sont victimes les petites filles dans les hangars à charbon et les impasses, et aussi, hélas, comme vous le savez trop bien ma gentille, dans les bois à airelles lors des mois estivaux les plus égrillards. Contre vents et marées, je demeurerai ton tuteur, et si tu es gentille, j’espère qu’une cour de justice pourra légaliser cette tutelle d’ici peu. Oublions, cependant, Dolores Haze, la terminologie pseudo-légale, une terminologie qui reconnaît comme rationnelle l’expression « cohabitation lubrique et lascive ». Je ne suis pas un débauché sexuel, un dangereux criminel prenant des libertés indécentes avec une enfant. Le psychopathe, ce fut ce violeur de Charlie Holmes ; je suis le thérapeute – petit distinguo subtil mais qui a son importance. Je suis ton papounet, Lo. Regarde, j’ai ici un livre savant à propos des jeunes filles. Regarde ce qu’il dit, ma chérie. Je cite ; la fille normale – normale, note bien, la fille normale est généralement très soucieuse de plaire à son père ; Elle entrevoit en lui le précurseur de l’insaisissable mâle de ses rêves (« insaisissable » me plaît, par Polonius !). La mère perspicace (et ta pauvre mère eût été perspicace, si elle avait vécu), encouragera cette relation entre le père et la fille, comprenant –excuse le stylé éculé – que sa fille façonne sa conception idéale de l’amour et des hommes en fonction de ses rapports avec son père. »
Lolita, Vladimir Nabokov (Folio)
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