Projecteur sur... Le livre de la jungle de Kipling

Les studios Disney, après Maléfique et avant la Belle et la bête, adaptent en film le Livre de la Jungle, reprenant les codes du dessin-animé de 1967, le dernier mis en scène par Walt Disney lui-même. Avec une réalisation irréprochable, des décors à couper le souffle et une histoire bien amenée, ils réussissent à rendre cohérent et intéressant le mythe de l’enfant sauvage qui ne cesse de faire parler de lui.

Mowgli, le petit d’homme, est à l’origine le héros des trois premiers récits du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling paru en 1894, dans lequel on retrouve un Baloo plus responsable que dans les adaptations, un Bahgeera moins froid et plus féroce, et dans lequel le roi des singes, Louie, n’existe pas – dans le livre, les singes de Bandar-Log étant en fait le peuple sans foi ni loi, et donc sans aucun maître, que méprise le reste des peuples de la jungle.

Il faut aller voir le film, ne serait-ce que parce que, visuellement, c’est une prouesse – si ce n’est pas pour la morale que fait naître la tension humain/animal, également très réussie ; mais il faut surtout lire ou relire les contes de Kipling. Plus noir, moins caricatural, plus cruel, bien plus rythmé, le livre de Kipling est écrit d’une plume précise et belle et, au cours de la lecture, on retrouve des scènes des adaptations, finalement bien plus prenantes à l’écrit, on comprend alors.

Bagheera y est, par exemple, plus majestueux, et les singes plus fous :

« Une ombre tomba au milieu du cercle. C’était Bagheera, la panthère noire. Sa robe est tout entière noire comme l’encre, mais les marques de la panthère y affleurent, sous certains jours, comme font les reflets de la moire. »

« Tout meurtri, las et à jeun qu’il fût, Mowgli ne put, malgré tout, s’empêcher de rire quand les singes se mirent, par vingt à la fois, à lui montrer combien ils étaient grands, sages, forts et doux, et quelle folie c’était à lui de vouloir les quitter. »

Et, ce qui est souvent plus saisissant à l’écrit qu’à l’écran, d’une manière générale, ce sont les ellipses et les silences ; car il est plus facile de s’arrêter quelques instants de lire pour s’échapper dans son monde, pour imaginer et laisser s’écrire dans l'esprit l'histoire tue, que de mettre sur pause un film pour se raconter à soi-même ce qui n’est pas dit. Kipling nous invite à cela :

« Maintenant, il faut vous donner la peine de sauter dix ou onze années entières, et d’imaginer seulement l’étonnante existence que Mowgli mena parmi les loups, parce que, s’il fallait l’écrire, cela remplirait je ne sais combien de livres. – Il grandit avec les louveteaux, quoique, naturellement, ils fussent devenus loups quand lui-même comptait pour un enfant à peine ; et Père Loup lui enseigna sa besogne et le sens de toutes choses dans la jungle, jusqu’à ce que chaque frisson de l’herbe, chaque souffle de l’air chaud dans la nuit, chaque ululement des hiboux au-dessus de sa tête, chaque bruit d’écorce gratinée par la chauve-souris au repos un instant dans l’arbre, chaque saut du plus petit poisson dans la mare prissent juste autant d’importance pour lui que pour un homme d’affaire son travail de bureau. »

Cela est si bien écrit que l’importance retrouvée des choses de la nature se révèle à nous… Mowgli apparaît entre les lianes de l’imagination… Puis, comme par magie – laquelle surplombe la magie de Disney – on est, nous, lecteurs, au beau milieu de la jungle que nous conte Kipling.

Le livre de la jungle et Le second livre de la jungle, Rudyard Kipling (Mercure de France ou Folio en poche)

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