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Pourquoi faut-il lire... La vie interdite

  • Charlotte Gobeaut
  • 22 avr. 2016
  • 3 min de lecture

« Je m'appelais Jacques Lormeau, 64 avenue des Thermes à Aix-les-Bains, j'avais trente-quatre ans, j'étais quincailler. Je suis mort à sept heures du matin. Il est huit heures vingt-huit sur l'écran du radio-réveil, et personne ne s'en est encore rendu compte. »


Voilà un incipit qui a de quoi déstabiliser. C'est d'ailleurs ainsi qu'il en sera tout au long du roman. Le narrateur est mort. S'agit-il pour autant d'un énième récit reprennant le topos d'une voix qui nous viendrait comme d'outre-tombe ? Non, assurément. Si Didier Van Cauwelart excelle en s'appropriant ce motif littéraire (rappelons qu'il a reçu le Grand Prix des Lecteurs du Livre de Poche) c'est bien parce qu'il en fait un usage neuf et tout à fait remarquable.


Ainsi, bien loin de décrire cet espèce d'état intermédiaire dans lequel il se trouverait, le narrateur va s'évertuer à deviner la personne qui le trouvera le premier dans cet état, tout en augurant les réactions de son entourage.


« Depuis quarante-cinq minutes, donc, soumis aux chiffres verts défilant sur l'écran de la pendule, j'attends. J'attends la suite. J'attends que Neïla se réveille et me découvre. Alors je serai mort pour quelqu'un. »


Le traitement de la mort du narrateur est donc particulier. Plutôt que de recourir à un mode fantastique, l'auteur fait ici le choix d'une tonalité assez réaliste, de sorte que la proximité avec Jacques Lormeau en est d'autant plus troublante que celui-ci nous paraît encore en vie. Ses réactions sont finalement celles d'un homme plein de bon sens qui ne comprend évidemment pas ce qui lui arrive mais qui tente malgré tout de raisonner et d'intéragir avec la réalité qu'à présent il contemple, errant, depuis le frigo de sa caravane.


« J'ai tenté plusieurs fois de me réintégrer. En rassemblant des forces dont j'ignore tout – leur action, leur mode d'emploi, et jusqu'à leur réalité – j'ai essayé de me concentrer pour revenir en moi, pour enfiler mon corps comme une chaussure trop petite. C'était grotesque. Je poussais, je poussais, je cherchais un angle, un point d'appui, mais rien n'y faisait, je restai dehors. »


D'autre part, les dimensions psychologiques et humaines prennent une part non négligeable au cours du récit. « Que deviennent les souvenirs, les désirs, la joie de vivre et la lucidité, lorsqu'on a quitté son corps ? [...] Comment échapper aux indésirables qui vous retiennent avec leurs prières, leurs rancunes, leurs fantasmes ? », se questionne la quatrième de couverture. Et parce qu'il est interne, le point de vue adopté par l'auteur est accablant, voire oppressant ; le lecteur est tout entier entraîné avec Jacques dans sa mort. On parcourt les pages avec une curiosité avide et inépuisable que Van Cauwelaert sait parfaitement manier.


Plus que tout, ce roman est une subtile façon d'interroger les propriétés de la littérature. D'abord, comment un narrateur mort peut-il être le héros de son histoire ? S'agit d'un anti-héros à la manière du Nouveau roman ? Comment l'action peut-elle avancer là où la vie n'est plus ? Existentielle à coup sûr, mais aussi littéraire, la question de l'espace et du temps y est particulièrement intéressante : le temps de la lecture fait son chemin quand celui de la vie du narrateur s'arrête pour errer entre le passé, les souvenirs et le présent qui n'est plus.


Qu'on se le dise, il faut lire ce roman de Van Cauwelaert. Récompensé ou non, il mérite une belle attention de notre part. Pas une seule fois on aurait envie de le quitter : il nous tient jusqu'au bout, jusqu'à cette fin qui– quoique métalittéraire – est là encore déroutante.


La vie interdite, Didier Van Cauwelart (Albin Michel)

 
 
 

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