Un bel extrait de... Je ne voulais pas être moi

La puissance des souvenirs, quand ils sont écrits, est phénoménale : comme on le découvre dans cet extrait, ces souvenirs font une vie, construisent une existence, forment, mis bout à bout, un destin... et permettent finalement d'ouvrir les yeux sur le monde.

« J'ignorais combien de chapitres je portais en entamant ce cycle, mais plus j'avançais, plus je trouvais. J'en ressors avec l'impression d'avoir bien plus vécu que je ne le croyais. Si l'existence est l'occasion unique de se fabriquer des souvenirs, les mettre noir sur blanc leur confère une ampleur démultipliée.

Élevé parmi quatre frères, je partage le collectivisme spontané des familles nombreuses ; j'ai toujours revêtu des pantalons trop grands et des vestes reprisées. Écrire en mon nom m'aurait longtemps paru réducteur ou trompeur, j'étais spontanément plusieurs. Les moments clefs de mon existence dormaient dans des espaces-temps étanches, enclos dans mes moi antérieurs, si divers qu'aucun ne pouvait prétendre détenir ma vérité. En m'insinuant dans la plupart pour les ramener littérairement à la vie, j'ai pu acquérir une vue d'ensemble. À ce nom qui m'impressionnait sur le ruban que ma mère fît tissé, un destin est enfin attaché. Le somnambule que j'étais avance les yeux ouverts, preuve est faite qu'il existe bien. »

Je ne voulais pas être moi, Claude Arnaud (Grasset)

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