Pourquoi faut-il lire... Titus n'aimait pas Bérénice
- Pascale Charpenet
- 26 févr. 2016
- 3 min de lecture

Tout commence quand Titus quitte Bérénice. Il l’aime mais décide de retourner vivre auprès de sa femme. Nous ne sommes pas à Rome mais à Paris, l’histoire se déroule de nos jours et non pas pendant l’Antiquité. Nathalie Azoulai transpose ici la célèbre tragédie de Racine et en fait un drame des temps modernes. Mais tout cela n’est qu’un prétexte. Un prétexte pour fouiller la vie du plus éminent dramaturge français. C’est finalement une biographie romancée que nous offre ici la normalienne. L’héroïne retourne au XVIIème siècle pour « construire un objet alternatif à son chagrin, sculpter une forme à travers son rideau de larmes » car « si elle comprend comment ce bourgeois de province a pu écrire des vers aussi poignants sur l’amour des femmes, alors elle comprendra pourquoi Titus l’a quittée. »
Nous nous retrouvons alors plongés avec elle en 1649. Le jeune Jean Racine fait ses humanités au monastère de Port-Royal, dans une vie janséniste dépourvue de tous artifices. Sous l’égide de ses maitres, il se passionne pour la version latine et les alexandrins. Son goût pour la langue le pousse toujours plus loin et il finit par arriver à Paris. Il se fait alors une place dans les cercles littéraires où il présente ses premières pièces. De succès en succès, il devient dramaturge du roi, et très vite son ami. Mais le plus intéressant dans ce roman, c’est la réflexion de l’héroïne, à travers celle de Racine, sur la naissance des sentiments et comment retranscrire les passions humaines. Racine se désespère de ne pas éprouver ces émotions quand l’amour le surprend :
« Il sait maintenant les illusions qui couvent sous le nom d’amour, mais aussi les sensations agréables qu’elles transportent, l’allure que prend la vie dans ce vent de printemps. Comme ses héros, Jean est enclin aux crises, à la fièvre, aux pics. Il ne sait plus vivre les longues durées, ces intervalles qu’il regarde, à cause de l’amour et de la gloire qui ne supportent que les accélérations, comme des temps morts. Mais les temps morts n’existent pas, se dit-il, le temps coule, remodèle, transforme : j’ai aimé une femme, elle est morte, j’en aimerai une autre, là devant moi, et qui vivra. Le temps a coulé dans mon âme sans que je m’en aperçoive. C’est un sang incolore et régénérant. Mais l’idée de ce temps qui supplanterait tout effort de la volonté humaine l’incommode. Il y aurait donc les hommes et leurs passions, et à côté, comme un tiers constant et salvateur, il y aurait le long serpent du temps ? Les vingt-quatre heures de la tragédie heureusement sauvent ses personnages de toute cette fadeur. »
Ce sentiment amoureux sera le principal objet de ses tragédies, où les grandes héroïnes supplantent les héros, dans leur amour, puis, toujours, dans leur détresse.
« Ce sera le premier pic, l’absolu bonheur, aussitôt suivi du deuxième, la chute, en spirale, parce que l’esprit humain n’admet le pire qu’en détours, doit s’habituer, couler son malheur dans les méandres d’un fleuve trompeur. Je raconterai tous les cahots de l’abandon, se dit Jean, celui qui ne peut pas s’admettre, invente, implore, puis qui s’admet et rugit, avant de plonger l’âme dans la mort, de couper tous les fils qui la reliaient encore, pour l’installer dans une immobilité parfaite, sans perspective, sans distinction entre le jour et la nuit, hier et demain. Que le jour recommence et que le jour finisse, sans que jamais Titus puisse voir Bérénice. »
L’auteur nous offre ici un roman passionnant, qu’on ne lâche plus, tant son écriture, simple et intelligente, nous désarçonne. On meurt d’envie de savoir pourquoi « Titus n’aimait pas Bérénice » et le suspense perdure jusqu’à la dernière page... et même au delà. Quand le point final arrive, on désire relire les pièces de Racine, se replonger dans toute son œuvre. Qui eut cru que je me passionnerais autant pour la vie d’un auteur du XVIIème ?
Racine revit sous la plume d'Azoulai, sous son style ciselé et percutant, qui nous touche au plus profond de nous, là où se cache le cœur… et ses raisons.
Titus n'aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulai (P.O.L)
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