Pourquoi faut-il lire... Bel-Ami

Une ascension sociale. Celle de Georges Duroy. Rien d'original, me dira-t-on. Ce jeune homme, a priori tout à fait comparable à un Julien Sorel ou à un Rastignac, est beau, ambitieux et plein de curiosités. On est à Paris, un Paris du défi et un Paris qui va se révéler être le terrain de jeu d'un jeune provincial.

« Ca n'est pas difficile de passer pour fort, va ; le tout est de ne pas se faire pincer en flagrant délit d'ignorance. »

Où donc se cache la nouveauté ? Comment donc vous convaincre d'affronter ces trois cents et quelques pages ? La narration. C'est cette narration si singulière qui en fait – à mon avis – un roman tout à la fois séduisant et plein d'esprit. On entend la voix de Maupassant résonner à travers le parcours de reporter de son personnage. Mais la tonalité est acerbe, sarcastique. Chaque phrase est comme une pique. Là réside tout le génie narratif. Maupassant n'accompagne pas l'ascension de Duroy avec ce regard tendre du créateur sur son oeuvre ; il est tout au contraire plein d'ironie.

« Les épaves de la noblesse sont toujours recueillies par les bourgeois parvenus. »

Mais que l'on se rassure, tout ce que l'on a aimé des nouvelles de Maupassant se retrouve dans ce roman. Le personnage est travaillé, ciselé, avec une grande ingénuosité. Les scènes sont remarquablement dépeintes, notamment les épisodes de grande chaleur où les nobles Parisiens se retrouvent au Bois de Boulogne pour un peu de fraîcheur. Et les femmes ! Toutes plus belles les unes que les autres, toutes plus délicates et pleines de charme de page en page. Leurs réceptions, leur gestuelle et leurs parures, toutes ces habitudes bourgeoises évoluent de façon caricaturale en rites grotesques au fur et à mesure qu'on pénètre davantage leur environnement. Bien sûr, Maupassant nous embarque dans le Paris de la haute société, là où le clinquant est omniprésent. Sans cesse Georges Duroy se retrouvera confronté à l'image qu'il renvoie. Le miroir du grand escalier des Forestier – témoin incorruptible– l'accompagnera tout au long de son ascension.

« Il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tréssaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru. »

Bien plus, il faut oser aborder l'intrigue comme l'élévation sociale d'un imposteur, disons-le. Grâce à une vieille connaissance, il entre dans la sphère bourgeoise parisienne en tant que reporter pour le journal La Vie Française. Mais ce fils de paysan n'a aucune notion d'écriture journalistique, ni même d'écriture tout court, par ailleurs. Il se fait aider dans un premier temps pour la rédaction de ses articles, puis, de subterfuge en subterfuge – et de dame en dame –, il parvient à gravir les échelons de l'entreprise. À ce titre, les différentes femmes qu'il séduit – les adoratrices de ce Bel-Ami – , du moins bon au meilleur parti, forment une sorte de microscome de son ascension.

« Toutes les femmes sont des filles, il faut s'en servir et ne rien leur donner de soi. »

On l'aura compris, Maupassant parvient à faire de Georges Duroy – ou Georges Du Roy de Cantel, comme il en vient à se renommer – un personnage attrayant et méprisable tout à la fois. Voilà ce qui m'a poussé à tourner les pages encore et encore, curieuse de connaître le sort de ce parvenu.

« Il s'était cru riche avec les cinq mille francs extorqués à sa femme. »

Bel-Ami, Guy de Maupassant

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