Un bel extrait de... Le Joueur
- Gaëtan du Peloux
- 5 janv. 2016
- 2 min de lecture

La folie du jeu, manifestée par les mots, est d'autant plus réelle. Des phrases courtes, des descriptions comme des flashs, une ponctuation précise – ou quand la forme et le fond s'épouse pour offrir une scène subjugante.
« La grand-mère, tout d'abord, regarda les joueurs qui l'environnaient. Elle me posait à mi-voix des questions rapides : « Qui est celui-ci ? Qui est celle-là ? » Elle fut surtout intéressée par un tout jeune homme au bout de la table qui jouait gros jeu, misait par milliers de francs et qui avait déjà gagné, comme se le murmuraient les voisins, environ quarante mille francs qui gisaient devant lui en un tas de pièces d'or et de billets de banque. Il était blême ; ses yeux étincelaient et ses mains tremblaient ; il misait sans compter, en prenant l'argent par poignées et cependant il ne cessait de gagner et l'or s'amoncelait devant lui. Les garçons s'affairaient, lui amenaient un fauteuil, faisaient place nette autour de lui, afin qu'il fût plus au large et que la foule ne le serrât pas ; tout cela dans l'espoir d'une riche récompense. Certains joueurs heureux leur donnent parfois sans compter, en sortant l'argent de leur poche à pleines mains. À côté du jeune homme, s'était installé un Polonais qui ne tenait pas en place et lui parlait à tout instant à l'oreille d'un air respectueux, sans doute pour le conseiller et diriger son jeu et, bien entendu, dans l'attente d'une rémunération. Mais le joueur ne faisait presque pas attention à lui, misait à tort et à travers et continuait à entasser. Il avait manifestement perdu la tête. »
Le Joueur, Fédor Dostoïevski (traduction de Sylvie Luneau, Bibliothèque de la Pléiade)
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