Pourquoi faut-il lire... Le monde de Charlie
- Edgar Dubourg
- 22 janv. 2016
- 4 min de lecture

Comment parler de manière juste du monde de Charlie, en évitant l’écueil de répéter, en moins bien, les magnifiques phrases de Stephen Chbosky ? Comment raconter simplement l’histoire si complexe et tendre de Charlie ? Cela semble un défi de taille, d’autant plus considérant ma passion pour ce roman — et ainsi mon ambition de ne trahir ni la réflexion, ni l’histoire, ni le style… ni Charlie, qui fut et reste mon héros de littérature favori.
« — Charlie, est-ce qu’on t’a déjà expliqué comment ça marche ?
— Je crois pas.
— Eh bien, il y a des règles, et même si ça te plaît pas, faut quand même les suivre. Tu piges ? »
Charlie est un jeune adolescent qu’on a rejeté et qui se retrouve, sans comprendre ni le comment ni le pourquoi, en marge d’une société qui érige de façon redondante la norme en norme. Ce qui semble le plus proche de la vérité, c’est de dire que Charlie ne comprend pas le monde dans lequel il vit et que, par un effet boomerang qu’on pourrait croire paradoxal mais qui ne l’est pas du tout, il se pose les bonnes questions. En fait, plus les réflexions semblent dénuées de sens, naïves, de prime abord, plus elles révèlent quelque chose de profond. Pour faire court, on peut penser que Charlie est naïf tant ce qu’il pense est apparemment décalé ; mais Charlie est loin d’être naïf ; à sa façon — très singulière, il est même extrêmement lucide.
« Ce que je veux dire (je crois), c’est que j’ai l’impression que tout ça a déjà été vécu. Mais pour moi, c’est la première fois. Je sais seulement que d’autres jeunes sont déjà passés par là. Un moment précis où dehors tout est paisible, et où tu vois des trucs bouger, et où t’as pas envie, et où les autres dorment. Et tous les livres que t’as lus, d’autres gens les ont lus. Et toutes les chansons que tu as aimées, d’autres gens les ont écoutées. Et la fille que tu trouves mignonne, d’autres gens la trouvent mignonne. Et tu sais que si on se rendait compte de ça à un moment où on est heureux, eh ben on se sentirait super bien, vu que c’est à ça qu’on peut reconnaître l’harmonie. »
Quand je dis que Charlie est un héros, je pèse mes mots : il possède les qualités du héros, un mélange de courage apparent et de vulnérabilité pas vraiment dissimulée, une sensibilité à fleur de peau qui fascine et effraie tout à la fois ; la qualité la plus belle, peut-être, découle de son innocence : c’est de ne pas comprendre qu’il est exceptionnel.
« Sam battait la mesure sur le volant. Patrick avait sorti sa main par la fenêtre et la faisait onduler. Et moi, j’étais assis entre eux. À la fin de la chanson, j’ai dis quelque chose :
— Je me sens éternel.
Et Sam et Patrick m’ont regardé comme si j’avais dit le truc le plus génial qu’ils avaient jamais entendu. »
Ainsi, Charlie essaye d’interagir, de comprendre, des choses aussi incompréhensible que la vie, la mort, l'espoir, la sexualité, la misère, le suicide... Il écrit des lettres, qu’il poste régulièrement à une fille qu’il a croisée un jour, qu’il a trouvée sympathique, et dont il a retenu le nom. Il veut écrire ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce qu’il fait ; mais il veut aussi savoir que quelqu’un, quelque part, lit ce qu’il écrit :
« Même si je te connaissais pas, j’avais l’impression qu’en fait, si, parce que t’avais l’air d’être quelqu’un de généreux. Le genre de personne que ça dérangerait pas de recevoir les lettres d’un jeune. Le genre de personne qui comprendrait que c’est mieux qu’un journal intime parce que là, y a une sorte de partage. »
Voilà ce que comporte ce livre : les lettres de Charlie, datées. Il y retranscrit sa rencontre avec Sam et Patrick, deux amis qui lui ouvrent le monde de l’adolescence, duquel il n’avait pas les clés. Ils entrainent Charlie en soirée, à des matchs de foot ; Charlie fugue, boit, fume et rit. Il est incorporé à un monde qu’il ne comprend pas, dont il n’a pas les codes, et c’est précisément ce qui crée certaines étincelles.
Ce qui rend ce récit poignant, ce n’est pas seulement la vraisemblance, qui fait que vous avez l’impression de connaître Charlie dans la vraie vie ; c’est aussi la profonde mélancolie dont chaque page est imprégnée, c’est être témoin de la détresse d’un jeune garçon qui pleure beaucoup, et qui se jure de ne plus pleurer autant afin que les larmes ne perdent pas leur valeur :
« J’ai fait la promesse de pleurer seulement pour les choses importantes ; j’aurais horreur de me dire qu’à cause de mes larmes qui viennent si souvent, pleurer puisse avoir moins d’importance que ça en a vraiment. »
Ce roman d’apprentissage n’est plus seulement triste, il est aussi drôle de par la franchise du personnage, qui lui fait dire des choses comme : « Tout le monde est trop bizarre, surtout moi » ou :
« — Tu as soif, Charlie ?
— Mmm.
— Qu’est-ce que tu voudrais boire ?
— Un milk-shake.
— Tu as faim, Charlie ?
— Mmm.
— Qu’est-ce que tu voudrais manger ?
— Un milk-shake. »
C’est un genre de roman que je qualifierais de vrai, ce genre de roman qu’on n’oublie pas et dont quelques phrases flottent dans l’esprit longtemps après leur lecture :
« Je suis juste resté assis sur un banc et j’ai regardé autour de moi. Tout ce que j’ai vu, c’étaient des ombres. »
« Je pleurais parce que d’un coup, j’ai vraiment réalisé que c’était moi qui étais là, debout dans le tunnel, avec le vent partout sur mon visage. »
« Je sais qu’il y a des gens pour qui c’est vraiment pire. Mais ça s’écroule quand même autour de moi.
etc.
etc.
etc.
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