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Pourquoi faut-il lire... D'après une histoire vraie

  • Edgar Dubourg
  • 9 déc. 2015
  • 4 min de lecture

On entre dans ce roman comme on ouvre une porte ; avec aisance — il suffit de tourner la poignée, puis on s’engouffre et tout est chamboulé. On entre, on ne veut plus sortir.


Ce qui fait de ce roman une pépite, c’est le tour de force de nous faire passer, nous lecteurs, par tous les sentiments possibles, de faire le tour des émotions humaines : on passe de la jubilation à l’angoisse, de l’agacement à la béatitude, de l’espoir aux regrets.


D’ailleurs, on entre dans ce livre par la grande porte : une citation de Misery de Stephen King, l’icône du roman policier, de la littérature d’horreur. C’est bien une descente aux enfers qu’écrit Delphine de Vigan. Son personnage, Delphine, ressemble traits pour traits à l’auteur et on reconnaît des éléments de sa vie. Alors qu’elle est dans une mauvaise passe, victime du syndrome de la page blanche à la suite de son dernier roman, Delphine (le personnage) fait la rencontre de L., qui va s’immiscer dans sa vie jusqu’à remettre en cause l’essence même de sa personne. On assiste alors à une persécution fine, un harcèlement dissimulé, une haine déguisée en amitié. On est berné. On est pourtant prévenu. Dès la troisième page, Delphine nous met en garde :


« La vérité est qu’au moment où j’aurais dû me remettre à écrire selon un cycle qui alterne des périodes de latence, d’incubation, et des périodes de rédaction à proprement parler — cycle quasi chrono-biologique que j’expérimentais depuis plus de dix ans —, au moment donc où je m’apprêtais à commencer le livre pour lequel j’avais pris un certain nombre de notes et collecté une abondante documentation, j’ai rencontré L.


Aujourd’hui je sais que L. est la seule et unique raison de mon impuissance. Et que les deux années où nous avons été liées ont failli me faire taire à jamais. »


La suite est un récit haletant mêlé à des moments de vie et des réflexions subtiles :


« Tu sais, il y a une chose que j’ai apprise. Une chose injuste qui sépare le monde en deux : dans la vie, il y a ceux dont on se souvient et puis ceux qu’on oublie. »


On pense donc connaître, dès le début, toute la trame du roman. J’avoue même avoir ressenti une petite pointe de déception, m’être dit « elle aurait pu attendre quelques chapitres pour nous pointer du doigts l’ennemi ». Pourtant, rien ne se passe comme on l’avait prévu.


Grâce à des retournements de situation parfaitement réalisés et une construction irréprochable, l’auteur réussit à nous faire douter de tout dans ce roman ; même de la fin. Et quel final ! Jusqu’à la toute dernière page, on se pose des questions. Et quand on pense comprendre, le dernier caractère remet tout en question (c’est pour dire), et l’on ne peut s’empêcher de sourire, et de penser « chapeau bas ! ». Ce qui permet cette tension omniprésente, c’est la façon magistrale dont Delphine de Vigan (l’auteur, cette fois-ci) peint la psychologie de ses personnages — les sentiments des deux personnages principaux sont observés à la loupe ; c’est aussi la manière dont l’auteur s’accapare le « je », devient son propre personnage — et cela rend la frontière du réel et de l’imaginaire très flou.


C’est l’autre réussite de ce roman, qui a fait tant parler de lui en cette rentrée littéraire 2015 : l’auteur aborde de manière frontale la réflexion sur la frontière entre vie et œuvre. Le personnage, Delphine, étant elle-même écrivain, discute souvent de son travail avec L. Et toujours la discussion tourne autour du « vrai » comme matière littéraire. L. a une idée très précise sur la question :


« Les gens en ont assez des marchands de sable ou de soupe, qui multiplient les histoires comme des petits pains pour leur vendre des livres, des voitures ou des yaourts. Des histoires produites en nombre et déclinables à l’infini. Les lecteurs, tu peux me croire, attentent autre chose de la littérature et ils ont bien raison : ils attentent du Vrai, de l’authentique, ils veulent qu’on leur raconte la vie, tu comprends ? »


Après des pages et des pages de discussions, d’hésitation, Delphine éclaircit sa position :


« Je suis presque certaine que vous, nous, lecteurs, tous autant que nous sommes, pouvons être totalement dupes d’un livre qui se donnerait à lire comme la vérité et ne serait qu’invention, travestissement, imagination ». Et Delphine (le personnage) de rajouter : « Ce pourrait être un projet littéraire, écrire un livre entier qui se donnerait à lire comme une histoire vraie, un livre soi-disant inspiré de faits réels, mais dont tout, ou presque, serait inventé. »


C’est exactement ce projet que semble mener Delphine (l’auteur). On ne peut démêler le vrai du faux et c’est précisément cette incertitude qui rend le roman si addictif. L. existe-t-elle dans la vraie vie ? Delphine de Vigan a-t-elle été victime d’harcèlement moral ? Finalement, la beauté de ce texte, c’est de prôner pour la littérature et non pour la « vérité », de dire que la littérature c'est la vérité, de faire oublier au lecteur que tout pourrait être inventé. L’histoire est belle, l’écriture est fluide, et l’on oublie presque de se poser la question « est-ce vraiment d’après une histoire vraie ? »


D'après une histoire vraie, Delphine de Vigan (JC Lattès)

 
 
 

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