Pourquoi faut-il lire... La petite barbare
- Victoria Roure
- 23 déc. 2015
- 2 min de lecture

La petite barbare raconte l’histoire d’une fille qui n’est pas vous. Une vie passée à attendre dans un ghetto parisien aseptisé au béton et à l’ennui. Des parents vissés au canapé et à leur vie privée de rêve et même d’amour. La fille veut contrecarrer ce destin moribond. Elle use de son charme, manipule, se donne pour mieux prendre sans jamais rien devoir. Avec son gang elle s’échappe dans le charme ineffable de l’interdit ; dans la nuit elle pille, elle frappe, elle humilie. Cela se résume vite et puissamment :
« Oui voilà ce que nous sommes, de grands fauves qui se gavent d’ultraviolence pour encaisser l’ineptie d’un monde fabriqué sans notre avis. Ensemble, nous squattons le rubrique des chiens écrasés avec des sourires en cran d’arrêt. Parfois, la télé débarque et les voitures s’embrasent. Le monde se met à flipper, range son magot sous le matelas. Il a bien raison. C’est ça un gang, inspirer la crainte en tapant sur l’épaule. »
Mais bien sûr la fille finit par se faire rattraper : la violence n’est légitime que dans les mains gantées des policiers. Elle se retrouve en prison. Elle écrit. Elle écrit cette peine dans l’indifférence la plus totale. Elle décrit ces désirs obscènes et violents qui nous partagent entre dégout de nous-mêmes et urgence d’une haine et d’un amour qui pulsent et doivent bien sortir de notre corps lâche. Elle raconte le goût immonde que prend la vie lorsqu’elle est teintée de lucidité. Car telle est la vraie sentence : être lucide c’est comprendre le « truc » du magicien et se morfondre. La fille parvient à transpercer les gens car elle ne respecte rien, ni vous, ni moi, ni elle. Elle veut simplement vivre et qu’on la laisse lire L’Amant de Marguerite Duras en buvant un café bien serré assorti d’un croissant chaud. La fille est une enfant qui joue, perd souvent mais ne renonce jamais à sa quête de liberté.
« Moi, mon mirage est indochinois et il a la classes des mots de Marguerite, cette langue qui fait du bien et du mal, qui s’enroule comme un cobra autour de votre âme pour ne plus jamais vous quitter. Précise et folle, dangereuse et amoureuse, telle est ma Marguerite égarée sur le Mékong de son enfance éternelle, brisant les barrages de bêtise entre elle et le monde. Moi, y a aucun fleuve eu pied de ma tour. Mais j’ai besoin de flotter. Juste un peu. »
Vous me voyez venir : cette fille c’est peut-être un peu vous au fond. Astrid Manfredi capte dans ce roman ce qu’il y a de beau dans le tragique quotidien d’une fille qui n’a que sa beauté pour s’en sortir. En lisant ce livre, on se retrouve à contempler l’air désabusé mais rêveur cette fille incisive par son franc-parler et sa poésie. L’on a conscience qu’elle nous met à nu par sa justesse, sa dureté et ses baisers imprégnés de miel. C’est donc ça La petite barbare : l’histoire d’une fille qui vous mangera tout cru.
La petite barbare, Astrid Manfredi (Belfond)
Comments