Un bel extrait de... Voyage au bout de la nuit
- Edgar Dubourg
- 6 déc. 2015
- 2 min de lecture

On comprend avec Céline à quel point les mots, simples, au bon endroit dans une phrase, peuvent couler de source et dire précisément ce qui ne s'explique pas ; ici : le temps qui passe, le soleil qui se couche. Et, au-delà du sens, il faut écouter la musique de l'écriture.
« On découvre dans tout son passé ridicule tellement de ridicule, de tromperie, de crédulité qu'on voudrait peut-être s'arrêter tout net d'être jeune, attendre la jeunesse qu'elle se détache, attendre qu'elle vous dépasse, la voir s'en aller, s'éloigner, regarder toute sa vanité, porter la main dans son vide, la voir repasser encore devant soi, et puis soi partir, être sûr qu'elle s'en est bien allée sa jeunesse et tranquillement alors, de son côté, bien à soi, repasser tout doucement de l'autre côté du Temps pour regarder vraiment comment qu'ils sont les gens et les choses.
Au bord du quai les pêcheurs ne prenaient rien. Ils n'avaient même pas l'air de tenir beaucoup à en prendre des poissons. Les poissons devaient les connaître. Ils restaient là tous à faire semblant. Un joli dernier soleil tenait encore un peu de chaleur autour de nous, faisant sauter sur l'eau des petits reflets coupés de bleu et d'or. Du vent, il en venait du tout frais d'en face à travers les grands arbres, tout souriant le vent, se penchant à travers mille feuilles, en rafales douces. On était bien. [...]
La nuit est sortie de dessous les arches, elle est montée tout le long du château, elle a pris la façade, les fenêtres, l'une après l'autre, qui flambaient devant l'ombre. Et puis, elles se sont éteintes aussi les fenêtres.
Il ne restait plus qu'à partir une fois de plus. »
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinant Céline (Gallimard)
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